mardi 5 janvier 2016

You Disgust Me Skinny

Salut à tous, en marge des conventions sociales, je tiens quand même à vous souhaiter mes meilleurs vœux. Y'a des hauts et des bas, mais l'essentiel c'est de connaître le moins de bas possible. Certes on a perdu un des nôtres mais on se doit de garder la tête haute car c'est comme ça qu'il aurait voulu qu'on soit. On ne va pas s'attarder sur Polo parce que c'était quelqu'un de très discret dans la vie et on va en faire autant pour lui rendre hommage. PEACE Paul.




Je n'avais pas prévu d'écrire ce mois-ci mais après la journée du lundi 4 Janvier 2016.... j'ai dit pourquoi pas! Certains d'entre vous connaissent cette histoire... mais mettez-vous à ma place, prenez mon personnage. 
J'ai passé les fêtes tranquilles dans la sérénité, rien d'extravaganza. Repas chez Mya à Noël et du 29 Décembre au 3 Janvier à Veynes dans les Alpes avec Megh, Valérie, Mya et tous les enfants Axel, Sophie, Sofia et Luna. Se ressourcer, rire, profiter de la famille, bien que je ne sais pas skier c'était une superbe semaine!
Donc nous sommes le 4 Janvier 2016. Avec tous les imprévus de ses deux derniers mois... obsèques... déprime, alcool, cote & match... j'ai fini l'année à sec!! Carla ma colocataire est toujours chez sa grand-mère. Seule, le frigo est vide ça s'annonce radical aujourd'hui.  Je sors vers les coups de 15h.

Je suis à la boulangerie en bas de chez moi. Quand je suis revenu habiter à l'Estaque au début j'allais chez elle presque tous les jours. Elle habite le quartier. Une femme de 40 ans, pas bien belle, pas très aimable non plus, souvent ça va ensemble. Elle est un peu moisie. Probable qu'elle a des mauvaises odeurs au niveau de sa partie intime. Je ne sais pas pourquoi je pense ça, c'est ce qu'on pense quand on voit ses sales yeux. Je l'ai bien regardée, parce que je savais ce que je venais faire et comment ça faisait honte et je me suis forcée à bien la regarder pour que ça soit un peu propre quand même. 
_Bonjour. J'ai... J'ai complètement oublié de retirer du cash aujourd'hui, est-ce que vous pourriez euh... Est-ce que je pourrais vous prendre une baguette et je passerai demain vous la régler ?
Parce qu'il restait du beurre dans le frigidaire, pour faire des grandes tartines, avec un bol de thé. A comparer à rien du tout ça me semblait être un bon programme.
La boulangère est restée très souriante, très aimable, elle a répondu : 
_Désolée, nous ne faisons pas crédit.
En désignant une pancarte derrière elle, où un petit bonhomme partait avec un baluchon sur le dos et en jolies lettres rouges il était inscrit au -dessus de lui "La maison ne fait pas de crédit."
 Je suis restée un court moment, face à elle. En fait, je ne m'y attendais pas. Ça m'avait arraché la gueule de rentrer et lui sourire en grand parce que personne n'aime mendier, personne n'aime demander à quelqu'un qu'il n'aime pas spécialement de quoi dépanner pour manger le soir. Mais une fois que je l'avais fait, en faisant gaffe à le demander gentiment, je croyais pas qu'elle m'enverrait chier. Parce que j'étais venue plus de trois cents fois en payant. Et qu'au pire, ce n'est pas crédit que je lui demandais, c'est cadeau d'une baguette, c'est a dire pas franchement le bout du monde. Alors j'ai insisté, parce que j'avais du mal à le croire et que peut-être elle avait mal compris. Au fond, je savais bien qu'elle avait compris. Je lui donnais genre une deuxième chance. J'imaginais quand même qu'elle n'oserait pas le dire direct. J'ai arrêté de sourire.
_J'ai vraiment plus un rond. Jusqu'à demain, même pas de quoi me payer une baguette.
_Désolée
Sans la moindre parcelle de honte, elle me regardait droit, elle était embêtée pour moi, elle a même haussé les épaules.
_Je peux pas aider tout le quartier, vous savez, c'est dur pour tout le monde.
Pour moi-même, épatée par tant d'indécence crasse et paisible, en secouant la tête de gauche à droite, j'ai insisté :
_On ne peut pas avoir tout ce pain derrière soi et pas vouloir donner, rien vouloir donner on peut pas. Mais bien sûr qu'on pouvait. C'était même le principe de base.  
Le pire, c'est qu'en sortant de chez elle c'est moi qui avait honte, qui me sentais gênée d'être en trop et d'avoir droit à rien, mais d'être là quand même. Et d'oser demander, de venir tendre ma main. 

Mettez-vous à ma place, je vous ai dit! Soyez mes yeux putain! Elle mérite qu'on pisse sur sa vitrine tous les matins??!!

La poste est bondée, je prends ma place dans la queue. devant moi un mec s'énerve : 
_Comment ça je dois le faire tout seul? J'ai deux cents lettres à envoyer et vous ne pouvez pas me les affranchir. Il faut que je colle moi-même deux cents timbres? Mais vous avez vraiment de la chance d'être fonctionnaire vous, vraiment de la chance . Et sincèrement, j’espère que vous ne l'aurez plus longtemps.
Tu parles qu'elle a de la chance, la gadji derrière le guichet. Vu les shoes que lui il porte et sa veste impeccable, vu son gros aplomb de mec habitué à être putain de bien traité, tu parles qu'elle a de la chance. Moi je voudrais bien le voir à sa place, il ferait moins le malin à la poste.
La guichetière brune, je la connais, c'est une pute qui ne sourit jamais, alors que juste à côté il y a son collègue à boucle d'oreille qui fait toujours une blague, un clin d'oeil et ça me plaît. Sinon comme d'hab la file n'avance pas.
Arrivée au guichet je tends mes papiers, ma carte CCP, je demande :
_Je voudrais savoir combien il y a sur mon compte. Elle enchaîne les gestes, remplit le formulaire, le rentre dans l'imprimante sans avoir besoin de regarder ce qu'elle fait.
Rien qu'à la gueule qu'elle tire, rien qu'à comment elle évite de me regarder, je sais qu'il y a un euro vingt sur mon compte. Le chômage n'est pas tombé, elle s'est fait insulter toute la journée par des gens comme moi, ça fait trois jours qu'ils viennent parce que d'habitude il est déjà versé à cette date. Elle me tend un papier, en faisant attention à le rendre retourné, je regarde, je me casse sans dire au revoir, cette putain de guichetière elle ne me répond jamais.

Je descends l'avenue, chaque bouffée d'air me coûte un peu, terrasse d'un café je repère un couple que je connais, je les rejoins.
Ça me fait une distraction, vaguement du bien, devoir se forcer un peu, discuter et se tenir et puis penser à d'autres choses. Je me suis assises à côté de lui. Il ne fait pas trop froid pour un mois de Janvier. Il me donne des nouvelles d'autres gens qu'on a en commun.
Le serveur arrive, rigide et moustachu, me demande ce que je veux boire, je souris en faisant signe de la main, je reste bien aimable, très dégagée : 
_Je ne veux rien merci, je reste juste quelques secondes.
Mais il ne s'éloigne pas, ça doit se voir sur ma gueule ou s'entendre à mon ton que c'est des conneries et que je n'ai pas un euro :
_Ah non mademoiselle, ce n'est pas possible, il faut laisser la place alors, vous voyez bien qu'il y a du monde, ce n'est pas un banc public.
J'ai un blanc. Le mieux ça serait de lui cracher à la figure. Je n'ai pas envie de bouger tout de suite, je voudrais rester cinq minutes, discuter un peu. Je fais oui de la tête, oui oui j'y vais, et j'attends qu'il lâche l'affaire. Il ne s'éloigne pas, il attend.
La fille et le garçon ont détourné les yeux, ils ont l'air horriblement gênés de ce que je ne veuille rien boire. Ils s'imaginent peut-être que j'ai de quoi, mais que je tape le scandale pour la forme, me donner un genre excentrique. En tout cas, aucun des deux ne propose de m'inviter. Ils travaillent tous les deux, c'est un euro trente le café. Je me lève, faire comme si j'en avais rien à foutre, signe de tête aux deux autres à la table, sourire quand même, faire comme si ça ne me faisait rien du tout m'éloigner. La première rue qui tourne la prendre.
Et tout ce qui me vient en tête me fait mal. Humiliation, comme un brouillard autour, comme des parois glissantes. Fureur retournée contre moi. Je voudrais changer de peau. Je voudrais m'en foutre. Dilligaf...Y'a pas moyen.

La nuit qui vient doucement, enfin aller dormir. Mais je continue de marcher. Une voiture ralentit à mon niveau : 
_Skinny ?
Je prétends que je n'ai pas entendu. Je tourne pas la tête, je reconnais la voix et la voiture. Laisse-moi tranquille. Si je dis un mot ça me fera pleurer et je trouve ça tellement débile de le prendre comme je le prends, de ne pas réussir à me dire que ce n'est pas grave, que j'encule tout le monde, pas réussir à passer outre. Et je veux surtout pas chialer!
_Skinny tu peux au moins me regarder.
Je réponds rien, lui enchaîne, roule au pas juste à côté de moi. Coups d’œil sur le côté, il a l'air jovial, il refait les mêmes blagues qu'auparavant, il sait toujours me faire rire mais sans plus. J'aime pas sa gueule il ressemble à un oncle à moi. On s'était croisé dans une agence de location de voiture, il était juste marrant il m'a donné son numéro je l'ai jamais rappelé... comme dit Carla : "si un mec est marrant, contente toi juste de rigoler!"
Il insiste : 
_Tu as l'air fatigué, ou tu vas? Je te raccompagne.
Je ralentis, j'hésite, je monte.
Je sais très bien que c'est une initiative à la con, comme à chaque fois qu'on se laisse aller à discuter avec un représentant. Mais je n'ai rien d'autre à faire. Et je veux bien manger quelque part même avec lui.
Je sais pas ce qu'il vend, mais il ne doit pas être mauvais parce qu'à peine assise il embraye. En eux-mêmes les propos sont cons, mais c'est la déferlante qui compte, et le dynamisme, ce truc du rythme et il me trimbale. Je ne pense plus à rien, j'écoute ce qu'il dit en fond, je regarde par la fenêtre, j'aime bien comment ça défile. Il s'en rend compte, me propose qu'on roule un peu, lui aussi aime bien voir la ville. Il aime bien mon sourire parce que d'où il vient les filles font toutes la gueule, on se croirait à l'armée, il n'est pas du Sud ça s'entend.
Il sort une flask de rhum blanc, je fais un signe de non avec la tête en lui disant que je ne peux pas boire le ventre vide,  et il me dit vas y on ira manger après si tu veux. Je souris et saisit la bouteille, j'y vais franco. Je me laisse aller en arrière dans le siège, souriante, je suis contente d'être là.
On roule un moment, et il arrive au parking de Grand Littoral vers le fond, sans que j'aie bien suivi  ce qui s'est dit. Je me doute bien d'où on va. Quand je fais de nouveau attention à lui il commence à me caresser la cuisse, j'ai sursauté : 
_Oh tu vas un peu trop vite là...!! La galanterie tu ne sais pas y faire?!
_Excuse moi, mais tu paraissais si détendue que j'en ai conclu que...
_Que quoi? Que j'étais une pute et qu'on allait faire ça dans le parking??
_Non non désolée vraiment!
_Ramène moi chez moi!
_Laisse-moi au moins t'inviter à manger pour me faire pardonner.

Vous êtes toujours là? Vous êtes moi..n'oubliez pas! restez avec moi!!!

Il redémarre, il est moins bavard que tout à l'heure. Je demande s'il reste du rhum, ça le fait rire aux éclats. Il a changé d'humeur. On sort de Grand Littoral. Il fait vraiment nuit.
_Écoute , je t'emmène manger, je veux que ça soit dans un truc vraiment classe...Je connais un endroit, on va se régaler... et après, je t'emmènerais boire un verre si tu veux, je vais être très galant avec toi.
Je crois que je pense à rien. C'est assez rare et vraiment pas désagréable. il s’arrête devant un restaurant : 
_Tu vas demander s'il y a une table de libre pour deux? Je vais garer la voiture.
Je descends de la caisse, il redémarre aussitôt. Je ne me retourne pas. Je sais qu'il ne reviendra pas et que c'est bien fait pour moi. Mais je le prends pas tellement mal, maintenant c'est tard et je suis bien raide. Je vais rentrer et dormir, demain le chômage sera sur mon compte. C'était une sale journée mais au moins elle est finie.

1 commentaire:

  1. Va ouvrir un compte dans une vraie banque espèce d'exclu de la société!

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